Le 25 décembre tout le monde se presse pour être à l’heure du rendez vous annuel avec le père Noël.
Les occupations de dernière minute de manquent pas.
Foncer chez le meilleur traiteur en centre ville, pour récupérer la commande d’un jambon en croute commandé deux semaines auparavant avec sa sauce madère en évitant d’en laisser des marques sur les sièges à l’arrière de la voiture comme l’an dernier.
Se précipiter à la gare pour accueillir la tante Louise à la descente de son train en provenance de Périgueux, les valises chargées des bocaux de confit d’oie qu’elle a cuisinés elle–même.
Courir acheter, au dernier moment, les piles oubliées pour faire fonctionner le robot électronique que le petit Jonathan trouvera, si tout va bien, demain matin au pied du sapin.
Rejoindre sans tarder l’église Sainte Céleste afin de réserver les premiers rangs comme chaque année et profiter de meilleures places pour la messe de Noël célébrée par le père Jean et animée par la chorale où chantent les enfants.
Se précipiter dans les embouteillages, en espérant ne pas arriver trop en retard pour le réveillon chez les Martin et subir toute la soirée les remarques désobligeantes de la maitresse de maison toujours anxieuse pour la cuisson de sa dinde.
Sillonner la ville en voiture avec des enfants surexcités pour leur faire découvrir les décorations de fête et permettre à la maman, restée à la maison, de terminer les derniers préparatifs dans le calme.
A cette heure là, personne ne flâne dans la rue. En dehors des courses à faire au dernier moment, les préparatifs se poursuivent bien au chaud dans les maisons où la télévision à débuté ses programmes de fête. Même Ludo, le SDF du quartier connu de tous, s’est réfugié dans son réduit au fond d’une cour, jugeant inutile de faire la manche si tard avec des passants trop pressés pour le voir et trop joyeux pour s’intéresser à la misère des rues.
Derrière sa fenêtre, le vieux Lucien est affligé par tant d’animations. Comme chaque année, il se promet bien de ne pas participer à cette grande foire commerciale. D’ailleurs, comme tous les jeudis, c’est un petit salé aux lentilles qui fera ses délices de la soirée, avec un disque de Charles Aznavour pour éviter la bonne humeur générale sur toutes les chaines de télévision.
Totalement étranger, moi aussi, à toute cette animation festive, j’observais avec un intérêt amusé l’excitation générale en souhaitant secrètement que ces derniers jours de l’année se passent au plus vite.
Tel un mannequin de carton pâte, je tombais nez à nez avec le Père Noël, calme et détendu attendant simplement l’heure fatidique pour accomplir sa mission. J’étais bien le seul à pouvoir faire une telle rencontre.
Après un salut cordial, nous avons échangé quelques mots. Etonnés l’un et l’autre de nous retrouver en simples spectateurs de cette fièvre générale. Je lui fis part de ma solitude et de mon désenchantement, en lui expliquant mon aversion pour ces fêtes.
A ma grande surprise, il me conta que depuis plusieurs années, une folie consommatrice l’avait rendu totalement désabusé et pour tout dire, tout à fait inutile. En dehors de quelques livres illustrés, de jouets de bois et des poupées de chiffon, sa hotte était presque vide. Sa tournée serait bientôt réduite à ne distribuer que des oranges dans les foyers vraiment déshérités comme dans le passé. Tous ces jouets électroniques dépassaient son entendement, il n’avait jamais les bons modèles de piles et ne possédait souvent qu’une notice en Croate ou dans un anglais de Hong Kong. De toutes les façons, ces robots et ces jeux étaient de plus en plus souvent commandés sur internet et livrés par Colissimo. Il n’y a pas que la poste qui ferait bientôt les frais de la privatisation, ce vieux barbu connaitrait la crise lui aussi.
Ainsi la magie de Noël subissait, de plein fouet, la mondialisation, ce qui ferait certainement bientôt un chômeur de plus. Ce brave Père Noel m’avoua qu’il s’était déjà inscrit sur une liste d’attente dans une agence d’intérim pour assurer l’animation dans les supers marchés.