Ce matin une très bonne nouvelle, je me suis réveillé.
Dans cet état de conscience qui m’a semblé tout aussi satisfaisant que la veille, je pouvais me considérer comme vivant et en déduire qu’une nouvelle journée m’était accordé. Un jour nouveau mais peut être pas tout entier, nous verrons bien ce soir si j’ai réellement bénéficié de ces vingt quatre heures réglementaires.
Avant d’en arriver là, il me faudra combler au mieux tout ce temps qui m’est offert. Je serai occupé par tout un tas de tâches aussi dérisoires qu’ennuyeuses mais il ne faut pas désespérer. Comme chaque jour j’arriverai sans doute par quelques stratagèmes à placer savamment quelques petits instants de bonheurs pour tromper le quotidien.
Déjà peu de temps depuis mon réveil, j’ai profité des couleurs du ciel au lever du soleil et me suis délecté d’une grande tartine grillée, enduite de beurre salé que j’ai délicatement trempée dans un chocolat au lait fumant.
Au regard du bien-être obtenu, ma collecte de petits moments de plaisir est loin d’être négligeable. La conscience toujours à l’affut je dois saisir chaque occasion pour transformer la moindre sensation en un réel plaisir de vivre. Bien sûr s’il s’agissait d’une denrée cotée en bourse, cette « productivité »serait bien insuffisante pour satisfaire les appétits des spéculateurs mais ici le bénéfice ne se mesure pas par la quantité.
Si mon attention se relâche, de longues minutes bruleront à petit feu avant que je puisse bénéficier d’une nouvelle fulgurance capable de m’illuminer l’âme, jusqu’à faire vibrer chacune des vieilles cellules de mon cerveau rabougri.
Ne vous y trompez pas, même cerné par les obligations du quotidien, il n’existe pas une seule journée où je souffre d’un quelconque ennui. Mon esprit est bien trop occupé à saisir toutes ces opportunités de me sentir vivant. Je pense donc je suis.
Dans son pot, cette Pteris aquilina, genre de fougères de la famille des Polypodiacées semble s’épanouir d’une douce lumière et d’un peu d’humidité que je veille à lui apporter quotidiennement. Dans un échange muet nous célébrons la vie chacun à notre façon
Par honnêteté je dois bien reconnaitre quelques instants de flottements dans le courant de ma journée car si éplucher une carotte ou faire mijoter un filet mignon me ravissent pleinement, par contre l’épreuve de l’aspirateur prend des allures de torture mentale et physique.
Toutes les publicités cherchent à nous faire croire que l’avoir seul nous permettra d’exister alors qu’en réalité il est plus important d’être pour se sentir présent dans ce monde et d’en tirer une grande satisfaction.
L’écriture participe pleinement au sentiment d’exister alors que la lecture permet au contraire de s’évader pour vivre d’autres aventures. Il me semble qu’en vieillissant la musique comme la littérature me sont moins nécessaires. Jeune, j’avais besoin de bruit, d‘action, voire d’agitation comme pour tenter de m’oublier quelques temps, cela est bien différent aujourd’hui où la perception du monde qui m’entoure devient tout à fait essentiel.
Sans aller jusqu’à douter de nos sens, n’est on vivant que durant les quelques instants où nous en avons conscience ?
La perfection m’a toujours ennuyée c’est sans doute pour cela que je me sens parfaitement bien en ma compagnie. Je me parle sans complaisance mais avec juste ce qu’il faut de tolérance pour ne pas entrer en conflit. En somme, je suis tout à fait prêt à affronter l’immortalité qui m’est promise même si comme le faisait remarquer Woody Allen « L’éternité c’est long surtout vers la fin »