Antoinette s’installa près de lui et lui prit la main. Une religieuse vint lui proposer de prier avec elle mais elle refusa en disant qu’elle préférait rester seule avec son fils. Dieu n’avait rien fait pour son mari, elle ne pouvait pas lui faire confiance pour son petit Pierre.
Elle avait eu le temps de confier ses deux petits à sa voisine et savait qu’ils seraient bien traités.
Seule dans le silence de la nuit devant son garçon, aucune larme n’avait encore coulé de ses yeux clairs. A croire que la vie l’avait totalement desséchée, elle faisait face aux épreuves avec beaucoup de vaillance. Le fatalisme avait rongé ses espérances, mais il lui restait quelques forces
Malgré la fatigue, elle ne put trouver le sommeil. A l’aube naissante, elle eut un fâcheux pressentiment, son fils s’était battu jusqu’au bout mais ses dernières forces ne suffiraient pas à le sauver.
Sans intension bien claire, elle emprunta un long couloir encore sombre afin de demander une grande enveloppe à une infirmière. Celle-ci, les yeux remplis de la fatigue d'une nuit de garde, lui remit ce qu’elle lui demandait sans même s’enquérir de l’usage qu’elle voulait en faire. Antoinette la remercia et repartit vers le dortoir en souriant.
Elle retrouva sa place auprès de son fils. Celui-ci semblait beaucoup souffrir et sa respiration n’était plus qu’un souffle.
Antoinette le regardait intensément, tant elle sentait sa fin proche. Etait-ce à cause de la fatigue ou de cette anxiété qui lui tordait le ventre, elle commençait à avoir des visions.
Elle crut déceler une légère lueur juste au-dessus du visage de Pierre dont les traits tourmentés trahissaient la rudesse du combat qu’il menait. Cette clarté chatoyante tantôt rose pâle, tantôt violette, se mit à tournoyer doucement. C’est le moment que choisit Antoinette pour présenter son enveloppe grande ouverte et emprisonner d’un geste brusque ce voile qui disparut totalement.
Dans un même mouvement vif, elle referma soigneusement l'enveloppe après en avoir humectée la bande collante puis en appuyant très fort. Elle glissa ensuite l’enveloppe dans son sac et se rassit sur sa chaise près du lit.
Il régnait à nouveau un grand calme dans la pièce. Le visage de Pierre avait repris un peu de couleur et ses traits s’étaient parfaitement détendus.
Alors que le jour n’allait pas tarder à se lever, Antoinette sombra dans un profond sommeil.
Une infirmière entra pour prodiguer des soins au jeune accidenté. Il semblait avoir parfaitement surmonté cette nuit. Le médecin appelé pour l’examiner fut bien dérouté de trouver encore tant de vie dans ce corps meurtri.
Pierre ne tarda pas à ouvrir les yeux ; en apercevant sa mère à ses côtés, il lui sourit. Antoinette retrouvant ainsi le doux visage de son fils adoré, ne put retenir une larme.
Pierre était sorti d’affaire, il lui faudrait encore beaucoup de repos pour se remettre tout à fait de cette mésaventure. Antoinette pouvait maintenant le laisser pour retourner chez elle et s’occuper de ses deux petits.
Elle embrassa tendrement son fils en lui promettant de revenir très vite.
Elle souhaitait rejoindre son village au plus vite mais il lui fallait attendre encore deux heures le prochain départ de l’autocar qui la ramènerait chez elle. Une profonde fatigue l’envahit, elle se reposa sur un banc à la gare routière. Bouleversée par les émotions, son esprit était en ébullition, elle avait un peu de mal à réaliser que son fils venait de survivre à ce cruel accident de la mine qui venait de faire trois victimes.
Elle retrouva dans son sac la grande enveloppe qu’elle saisit prit en main tout en réfléchissant à ce quelle pourrait bien en faire.
Son visage s’éclaira brusquement. Elle se leva et sortit aussitôt de la gare routière. Arrivée sur le trottoir, elle tourna la tête de tous côtés pour chercher à s’orienter. Elle finit par traverser la chaussée, s’engagea dans la rue de Paris qui menait à la grande Poste. Au guichet, elle rédigea l’adresse du directeur des charbonnières sur l’enveloppe avant de la glisser dans la boîte à lettres.
Comme soulagée d’un grand poids, elle retourna d’un pas léger attendre son autocar.