Il n’était pas encore midi lorsque les sirènes retentirent. Personne dans le voisinage ne pouvait s’y tromper, il y avait eu un accident sur le puits numéro trois.
Tous les gens du quartier se précipitaient sur le carreau de la mine. Les femmes surtout avec de jeunes enfants dans les bras, les autres couraient à leurs côtés suivis par quelques vieux qui s’activaient sans pouvoir suivre le mouvement. Une peur sourde sans larme ni panique, la communauté serait encore cruellement atteinte aujourd’hui.
Depuis le depuis de l’année, c’était la troisième fois que l’alerte était donnée. Toujours sur ce même puits, où les hommes descendaient chaque jour avec un peu plus d’angoisse.
Antoinette aussi s’était empressée de venir aux nouvelles. Deux ans plus tôt, son mari était resté au fond, un peu plus loin sur le puits numéro un. Son corps était toujours avec ceux de ses camarades par deux cents mètres de fonds car l’explosion avait entrainé une inondation et il n’était plus possible de les en extraire pour le moment. Elle pensait souvent à lui dans ces profondeurs glacées de la terre
Antoinette avait reçu une maigre prime pour cette catastrophe ainsi qu’une longue lettre manuscrite du directeur des charbonnages. Dans son courrier, il rendait un bel hommage à la bravoure et au courage de son homme. Ce qu’elle avait retenu, c’est une promesse qui lui était faite d’embaucher son fils aîné dès qu’il aurait atteint ses seize ans.
C’était chose faite depuis le mois de février. Le petit Pierre, bien qu’un peu chétif, était descendu au fond pour être employé au roulage. Depuis le front de taille jusqu’à la recette inférieure du puits d’extraction, il poussait les wagonnets dix heures par jour et six jours sur sept. Antoinette était fière de pouvoir compter sur lui pour subvenir aux besoins de la famille maintenant qu’il était un homme. Comment aurait-elle pu faire autrement pour élever la jolie Lisa qui n’avait que douze ans et Louis le petit dernier seulement âgé de sept ans ? Ce n’est pas avec les quelques heures de ménage effectuées dans les bureaux tôt le matin, quelle aurait pu nourrir correctement sa famille. La misère était la même pour tous dans le pays noir.
Pierre était un brave gars, bien trop souvent le nez dans les livres au goût de sa mère, mais toujours très serviable. Il se plaisait bien à l’école mais l’avenir dans les corons est tout tracé, son tour était venu de descendre au fond.
Aujourd’hui, c’était pour lui qu’elle attendait devant les portes de la mine au milieu de la foule qu’on veuille bien les rassurer. Un grand nuage de poussière sortait du puits numéro 3, quelques gueules noires venaient tout juste de s’en extraire et marchaient vers les grilles pour rassurer leur famille.
Il fallut encore plus d’une heure avant de voir s’approcher l’ingénieur qui annonça que six hommes étaient encore au fond et qu’une équipe était descendue à leur secours.
Alors que le nuit tombait, on avait fait entrer les familles dans un réfectoire. Deux survivants arrivèrent, soutenus par leurs camarades, ainsi qu’un blessé allongé sur une civière.
Antoinette reconnut aussitôt son fils, il était inconscient et respirait à peine. Elle monta avec lui dans l’ambulance qui les emmena rapidement vers l'hôpital.
A leur arrivée, on s’affaira autour de lui pour l’examiner et le nettoyer un peu. Après encore une longue attente, on conduisit Antoinette auprès de son fils dans un grand dortoir, alité derrière un lourd rideau de toile. Il n’ouvrait toujours pas les yeux et semblait ne rien entendre.
Un médecin finit par venir lui expliquer qu'outre la fracture au niveau de la jambe gauche qui avait été constatée, l'écrasement de la cage thoracique subi dans l’accident avait probablement provoqué de graves dommages internes. Les prochaines heures seraient déterminantes et il ne fallait compter que sur la vitalité de sa jeunesse pour lui permettre de passer la prochaine nuit.