Tous les sujets sont bons à Jean Pierre pour se plaindre de la vie.
« Un chien a aboyé toute la nuit, impossible de fermer l’œil, pourtant je l’ai déjà prévenu ma voisine, si cela continue, il va l’avoir sa boulette à la strychnine. Pour aujourd’hui, je ne dis rien, la pauvre, elle s’est faite opérée des yeux le mois dernier, en plus elle vient de faire une allergie aux médicaments. Vous verriez la tronche qu’elle se paye. Bon moi j’ai dit à ma femme, ne l’approche pas, on sait jamais, si çà se trouve c’est contagieux.
C’est comme la nouvelle résidence de logements sociaux…je vous l’avais bien dit. Hier, je passe par là, par hasard, et bien figurez vous qu’il y aucune immatriculation du département. C’est pas malheureux, ils auraient tout de même pu les donner en priorité à nos jeunes du coin ; En plus, je ne vous dis pas, des Audi, des BMW…on se demande bien comment ils font pour les payer leurs voitures ceux-là. Moi, si vous voulez mon avis, ils ne mangent que des pâtes à partir du cinq du mois.»
Dans son monologue, il s’adressait à qui voulait bien l’entendre mais continuait sans attendre qu’on lui réponde. Je me trouvais le plus proche de lui, c’était bien là ma deuxième erreur de la matinée. Il s’adressa directement à moi alors que je cherchais désespérément à me plonger dans la lecture du journal, et continua.
« Oh moi, je ne lis plus les journaux. Tu as vu encore cette petite fille qui a été enlevée, après trois jours de recherche et bien ils l’ont retrouvée, violé et jetée morte dans un fossé. Moi je te dis qu’on aurait jamais du abolir la peine de mort, il y a quand même des cas où ce serait bien mérité. Surement encore un déséquilibré ou un drogué, tous les jours, ils en laissent sortir de prison sans les surveiller. Là aussi, il y a des coups de Karcher qui se perdre. Au moins de not’ temps, à l’armée on lui aurait filé une rouste et cela lui aurait remis les idées en place. »
« Encore un laxisme de la gauche… »
Alors là quand Jean Pierre commençais à parler politique, l’heure avait sonnée de quitter les lieux au plus vite.
« Avec tous ces chômeurs qui trainent en priant de ne pas trouver de travail, c’est pas étonnant que ces choses là arrivent. Les Français sont vraiment des fainéants, regardes en Allemagne, ils n’ont pas de problèmes eux et pourtant c’est nous qui avons gagné la guerre…
Ici, les gens, ils ne pensent qu’à partir en vacances et à s’acheter des super écrans plats. Du temps du général, il n’aurait pas supporté çà. Moi j’espérais bien que Sarkozy allait les remettre au boulot en leur supprimant toutes les indemnités. Il m’a beaucoup déçu ce Sarkozy, pour ce goberger au Fouquet’s ou faire copain copain avec Obama, là il est à son affaire, mais pour redresser le pays c’est une autre paire de manche…
La prochaine fois, de toute façon, j’ai dit que je n’irais pas voter, c’est bien tous les mêmes. »
L’actualité pouvait peut être me sauver d’affaire, alors je tentais le coup. « Alors Jean Pierre, tu l’as trouve comment notre équipe française de rugby ? »
« Oh non, moi le rugby, je n’y comprends rien. Je ne m’intéresse qu’au foot mais je ne regarde pas non plus les matchs car ils passent bien trop tard à la télé. Moi passé huit heures du soir, je commence à tourner en rond, alors hop au lit. »
« Bon allez, je vais me rentrer, j’ai dit à bobonne qu’aujourd’hui je ne trainerais pas avec les copains…
Figures toi qu’elle doit rendre visite à sa nièce qui est à l’hôpital. Une pauvre fille, quarante ans qui doit se fait opérer d’un cancer de l’utérus. Si tu veux mon avis, il n’y a rien d’étonnant avec la vie qu’elle menait. D’ailleurs, son mari l’a quitté en la laissant avec ses trois enfants, tu ne me retireras pas de l’idée que cette fille était une véritable emmerdeuse. »
Replaçant son chapeau, relevant son col, il était près à quitter le bar.
« Bon, je dois passer à la pharmacie, je n’ai plus de médicaments. J’en ai pour la tension, pour mon cholestérol, pour mes varices et même pour mieux pisser. J’en ai un nouveau pour la tension par ce que l’autre avant ne me convenait pas. Moi je lui ai dit au docteur, si les comprimés sont trop gros, je ne peux pas les avaler. Tu comprends j’ai un souci avec de glotte…
Je dois aussi me faire vacciner contre la grippe, comme je suis asthmatique, alors bien sûr je dois faire attention. Il y a trois mois, à la suite d’une bronchite j’ai eu une douleur dans le dos comme je n’en souhaite à personne. Je vais chez le kiné tous les mardis mais çà ne me soulage pas vraiment. C’est un jeune, je me demande s’il connait bien son boulot….
On me retirera pas de l’idée que si le père Damien était encore d’ce monde, il m’aurait guéri comme un rien…
A la radio, on ne voit rien, mais moi je sais que j’ai mal tout de même. Si çà continue je vais demander un scanner. Pourquoi je n’y aurais pas droit moi au scanner ?...
La rhumatologue le sait bien, elle m’a dit l’autre jour, que j’avais une nature fragile. J’ai travaillé trop longtemps. Tu comprends, il me faut attendre encore deux ans avant ma retraire, car pour l’instant je suis en longue maladie. »
Jean Pierre avait fini par sortir en râlant après la serveuse parce que le sol était mouillé et qu’il avait failli glisser.
Je n’ai pas osé lui parler du trou de la sécu et de tous ces Français qui rechignent à travailler, mais je préférais en finir au plus vite avec cette conversation. Je réalisais pourtant que ce brave Jean Pierre était bien plus jeune que moi mais que son existence ne me faisait pas envie.
Après ce déluge de calamités, je sortais humer l’air doux de ce début de printemps en me disant en moi-même « Manquerais plus qu’il pleuve. »