Il y a bien longtemps que j’en avais envie. M’assoir calmement à mon bureau, face à un bloc de papier ou devant mon ordinateur et commencer à écrire. Pas une lettre, pas un rapport, ni un compte rendu quelconque, non un roman ou une nouvelle, enfin une histoire.
Il est très inconfortable de se mettre à écrire ainsi même si toute sa vie on n’a cessé de gribouiller sur des carnets, annoter des fiches et consigner des pensées fugaces.
Se libérer sur une feuille de papier des réflexions qui vous encombrent l’esprit au point de ne pas trouver le sommeil, cela ne fonctionne tout de même de la même façon.
Tant de belles choses ont été écrites, je n’en ai lu qu’une partie si infime, alors même pour soi-même, il faut une grande prétention pour livrer, noir sur blanc, le fruit de ses rêveries.
Bien sûr, quand on débute dans ce genre de projet, on y met beaucoup de soi, au point même où qu’un hypothétique lecteur pensera inévitablement qu’il s’agit de ma propre vie. Il est certain que ce que j’écrirais viendra du plus profond de moi-même, avec beaucoup de mes souvenirs et de mes propres sensations.
La règle veut que je ne sois pas obligé dans ce cas d’être parfaitement honnête avec la réalité. Sous pas mal d’aspects, ma vie est un véritable roman, pas qu’elle soit plus exemplaire ou plus riche qu’une autre, mais que peu de ses évènements m’ont laissé totalement indifférent.
Une grande curiosité certainement ou plutôt une sorte de perméabilité maladive. J’emmagasine facilement les images et les situations cocasses qui passent habituellement inaperçues pour d’autres. Cette mémoire visuelle ne se contente pas de figer un visage ou un lieu mais c’est tout un petit scénario qui s’installe dans ma tête à partir de cette vison fugace. Déposer comme cela noir sur blanc, tous ces petits épisodes, je doute que cela puisse intéresser quelqu’un car certains aspects pourraient paraître parfaitement insignifiants, inimaginables et par trop alambiqués pour se révéler dignes d’intérêt.
Est-ce qu’on écrit toujours pour être lu ? Moi-même je n’ai pas toujours lu ce que j’avais écrit, sans doute l’expérience d’une certaine déception à constater que mes émotions avaient été tellement belles et leurs retranscriptions bien fades. Ce qui montre bien que mon sens de l’écriture a besoin de s’améliorer.
A bien y réfléchir, je ne vois pas comment le héro de mon histoire pourrait ne pas être moi. L’introspection, qui a duré tant d’années pour m’amener à cette écriture, ne peut s’exprimer que par ce personnage qui ne sera sans doute pas ce que je suis mais certainement celui que j’aurais pu être.
Le personnage principal est en place, je ne sais pas encore bien vers quelles aventures je vais l’entraîner. Déjà des décors se dessinent et une atmosphère délicate s’insinue dans mon esprit, une ambiance s’installe.
Tout le matériel est prêt, même le temps nécessaire à l’écriture semble disponible.
Le rythme de fond ne sera pas compatible avec une histoire d’aventures effrénées mais l’action ne devrait pas en être totalement exclue pour autant. Par manque d’expérience, l’intrigue sera certainement découverte dès les premières pages, il me faudra pourtant surprendre pour garder un peu en haleine.
Mais qui peut écrire uniquement dans l’espoir d’inscrire le mot fin ?
Le voyage est toujours plus riche que la destination.
Comme lecteur, ce n’est pas la chute du livre qui me marque, le plus souvent, mais tous les méandres de l’histoire avec toutes les odeurs qui s’en dégagent ainsi que la lumière et les couleurs qui s’imposent à mon esprit. C’est même tellement vrai que lorsque je reprends la lecture d’une œuvre, je suis incapable de me souvenir du dénouement final. Par contre l’atmosphère reste imprégnée et c’est elle qui m’incite cette relecture.
Mon personnage principal va rencontrer beaucoup de gens. Chacun d’eux portera un peu de moi et beaucoup des personnes croisées dans ma vie.
Promis, j’essaierai de ne pas être trop moraliste. Je ne manque jamais de défendre mes valeurs avec beaucoup de convictions mais je pense être capable de tolérance. Toutefois, je n’oublie pas que je suis un vieux con et que je vais avoir beaucoup de mal à ne pas mettre mon grain de sel dans un monde qui pourrait être meilleur.
J’ai aussi fait une bonne réserve d’humour dans mon existence.
C’est important pour qu’un récit soit agréable à lire. Là encore, il s’agit d’une valeur bien subjective, mon sens de l’humour ne conviendra sans doute pas aux purs esprits.
Ne pas oublier la ponctuation. Les difficultés techniques commencent. Je ne parle même pas de la grammaire et de l’orthographe. Je ne peux malheureusement pas faire confiance à mes acquis scolaires, ils ont été si minces et maintenant bien trop lointains pour me servir efficacement. Il ne faut pas que j’y pense de trop car sinon je sens que mon enthousiasme va disparaître tout à fait.
Et puis faut-il s’exprimer au passé ou au présent ? En tous cas ne pas s’emmêler les temps en cours de route, il me faudra rester attentif.
Trop novice pour ressentir un quelconque syndrome de la page blanche, il me faut tout de même oser une première phrase. Comme dans les histoires enfantines, je ne peux choisir ce « il était une fois », cela demande donc un moment de réflexion.
Dois-je parler des petites fleurs et du beau temps ou introduire mon personnage immédiatement en situation ?
Désolé, maintenant je dois vous abandonner. Je vous retrouverais bien volontiers plus tard, nous reparlerons de tout cela. Je ne peux vous fixer de rendez-vous précis, il s’agit là d’un accouchement qui ne peut en aucune façon se prédire à quelques jours avec précision comme l’arrivée de la plupart des bébés.
Même invisibles, pour tout dire purement imaginaires, vos encouragements m’ont été d’un grand réconfort.
Comme un navigateur solitaire, je vous rejoindrais sur une autre rive. Maintenant je suis seul maître à bord, je vous prie donc de m’excuser, mais je dois me concentrer sur les manœuvres de sortie du port et mener mon embarcation vers le bon cap. La traversée ne s’annonce pas de tout repos, avis de tempête et de coups de vent en perspective.
Alors dites-moi bon vent !